Le mieux est l'ennemi du bien

La Sagrada Familia, oeuvre inachevée d'Antonio Gaudi
La Sagrada Familia, oeuvre inachevée d'Antonio Gaudi

C’est ce qu’affirmait Montesquieu. Et pourtant, de notre prime enfance à notre vie professionnelle, on ne cesse de nous répéter qu’il faut viser l’excellence. On nous obsède avec notre niveau toujours évalué pour nous dire ce qui cloche, ce qui n’est pas assez bien mais rarement pour nous féliciter. Ah la terrible annotation sur les bulletins scolaires qui, peut-être, se voulait encourageante. « Peut mieux faire ! »

 

Pour ma part, elle m’a valu l’éternelle insatisfaction de mon père qui trouvait là matière à décréter que je ne fichais rien et à me reprocher mes passions adolescentes, la photo et les escapades à bicyclette. Quant à ma mère, ses réprimandes bienveillantes m’accablaient un peu plus encore, me faisant sentir que j’étais gentille mais pas très affûtée.

 

Le mieux, inaccessible étoile, éteignait mes petites lumières de satisfaction d’avoir franchi le couperet de la moyenne et même d’avoir gratté quelques places au dessus du dix. Et si parfois j’avais vingt sur vingt, c’était certainement que le professeur avait voulu nous faire un cadeau. « Vingt sur vingt, ça n’existe pas ! » comme disait mon père.

 

Et là, je lui donne entièrement raison. Non pas dans le sens d’un perfectionnisme torturant mais bien au contraire dans l’idée qu’il faut savoir dire « ici, je m’arrête ». Mais où est cet ici ?

Citadelle, roman inachevé de Saint Exupéry
Citadelle, roman inachevé de Saint Exupéry

Comme vous l’avez constaté sans doute en visitant mon site, le réalise de courtes vidéos, présentations professionnelles, événementiels, clip de campagne de financement participatif. Je ne suis pas une éminente spécialiste de l’audiovisuel. Non, j’ai fait le choix du pragmatisme, de la dimension relationnelle, du capital d’émotions que permet la vidéo.

 

Ce sont alors d’autres dimensions que l’excellence technique qui interviennent car elle seule ne saurait suffire à réaliser une bonne vidéo. A quoi bon déployer de grands moyens qui vont altérer la spontanéité du sujet ? A quoi bon passer des jours à fignoler un montage pour des enchaînements ultra fluides, un parfait étalonnage des couleurs et du son si l’émotion se perd en route? Ou bien si le public, lassé d’attendre, ne sera plus concerné par cette captation ?

 

J’ai pris une grande leçon auprès de bénévoles d’une association dont, depuis je fais partie. Aucun n’avait vraiment de connaissance en vidéo mais tous prenaient la caméra à tour de rôle et partageaient le bonheur des instants filmés, l’envie de garder une trace de leur aventure collective.

 

Chaque année, une grande fête leur permet de se réunir, de constater le chemin parcouru à travers ce film. La caméra saute parfois, haletante comme celui qui la tient. La lumière, les mouvements sont inégaux. Des gros plans impromptus, des hors cadre surprennent. Et c’est justement tout cela qui retraduit l’urgence et l’émotion du vécu que, nous spectateurs, recevons avec alors de manière directe.. Aurait-on corrigé tous les défauts du pur point de vue professionnel, on aurait perdu cette authenticité.

Concert de Nicolas de Stael, esquisse ou abstraction?
Concert de Nicolas de Stael, esquisse ou abstraction?

« Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage » disait Boileau. « Polissez le sans cesse et le repolissez ». Mais prenez garde que cette fuite en avant ne vous coupe d’apprécier le bien accompli. Et ne tombez pas dans le piège de sans cesse comparer : comparer vos enfants et leurs réalisations, comparer vos amis et leurs qualités, comparer vos collègues et leurs diverses compétences. A vouloir trop bien faire et reprendre, on détruit parfois irrémédiablement le fragile équilibre qui était là. On perd de vue la force brute de notre intuition première. Picasso disait que « une peinture n’est jamais finie, mais un jour on décide de l’arrêter ». Où mettez vous la barre ? Et n’y a-t-il pas qui plus est quelque charme à l’œuvre inachevée ?

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